Le « Like » Facile : Pourquoi l’Émotion Bat la Vérité sur le Handicap (et Comment l’Algorithme s’en Nourrit)
Bienvenue sur Handicapologie. Aujourd’hui, nous abordons un sujet frustrant : le validisme sur les réseaux sociaux.
Vous l’avez vécu. Vous passez une heure à rédiger un post documenté, « solennel » comme il se doit, sur les failles de la loi de 2005, sur les chiffres du chômage des personnes en situation de handicap, ou sur les difficultés d’accès aux soins. Votre post est factuel, sourcé, et crucial.
Résultat ? 15 « likes » et un partage (merci maman).
Pendant ce temps, dans le même fil d’actualité, une vidéo larmoyante montre un enfant non-handicapé aidant son camarade en fauteuil, avec une musique de piano. Ou pire, un post « inspiration porn » montrant une personne amputée faisant ses courses, avec la légende : « Il le fait, quelle est VOTRE excuse ? ».
Résultat ? 50 000 « likes » et des milliers de partages.
Pourquoi ce post, souvent réducteur, parfois même mensonger sur la réalité du handicap, écrase-t-il votre vérité factuelle ?
La réponse est un cocktail toxique de psychologie humaine et de mécanique algorithmique. Et pour notre cause, c’est un véritable poison.
1. Le Cerveau Préfère l’Émotion au Travail
Notre cerveau est, par nature, paresseux. Il fonctionne sur deux vitesses :
- Le Système 1 (Rapide) : C’est notre pilote automatique. Il est émotionnel, instinctif, et ne demande aucun effort. C’est lui qui réagit à une image choquante, à une histoire triste, ou à un slogan indigné.
- Le Système 2 (Lent) : C’est notre pilote manuel. Il est analytique, logique et demande de la concentration. C’est lui qui lit un graphique, analyse une statistique ou comprend une nuance juridique.
Un post « solennel » et factuel sur l’inaccessibilité des transports en commun fait appel au Système 2. Il demande au lecteur un travail de compréhension.
Un post « inspiration porn » fait appel au Système 1. Il offre une décharge émotionnelle immédiate (pitié, admiration) qui fait du bien, sans rien coûter intellectuellement.
Le mensonge (ou la simplification extrême) est efficace parce qu’il est simple. La vérité, surtout dans le monde du handicap, est complexe. Et sur les réseaux, le complexe perd toujours face au simple.
2. Le Validisme Émotionnel : L’Arme Fatale
Le post émotionnel qui fonctionne le mieux est celui qui valide ce que les gens pensent déjà. Dans notre domaine, cela s’appelle le validisme.
Les gens veulent croire que le handicap est une tragédie personnelle qui se surmonte par le « courage » individuel.
- Le post « Inspiration Porn » (émotionnel/faux) : Il dit aux personnes valides : « N’ayez pas à changer la société ; le problème, c’est juste leur attitude. » C’est un message confortable. Liker ce post, c’est s’acheter une bonne conscience à bas prix.
- Le post « Plaidoyer » (factuel/vrai) : Il dit : « La société est inaccessible et discriminatoire. VOUS devez changer vos infrastructures, vos mentalités, vos processus de recrutement. » C’est un message inconfortable. Il est plus facile de l’ignorer.
Le post mensonger ou réducteur ne se contente pas d’être émotionnel ; il est rassurant pour le statu quo. Notre vérité « solennelle » est, elle, dérangeante.
3. L’Algorithme : Le Juge Aveugle qui Préfère le Bruit
C’est le cœur du problème. Les plateformes (Meta, X, TikTok, LinkedIn) n’ont pas pour but d’informer, d’éduquer ou de rendre le monde meilleur. Elles ont un seul but : garder vos yeux sur l’écran le plus longtemps possible pour vendre de la publicité.
Pour ce faire, elles mesurent l' »engagement ».
L’engagement, c’est une réaction. N’importe laquelle. Un « like », un partage, un commentaire.
L’algorithme ne fait aucune différence entre un « like » d’approbation pour un article de fond et un « like » de pitié pour une vidéo stéréotypée.
Pire encore, l’indignation est l’émotion la plus « engageante ». Un post factuel génère de la réflexion. La réflexion est silencieuse. Un post outrancier, même faux, génère des débats, des insultes, des partages de colère. Du point de vue de l’algorithme, ce post est un immense succès.
La « vérité solennelle » est l’ennemie de l’algorithme. Elle est calme. L’émotion, le mensonge, le choc… voilà le carburant de la machine.
Conclusion : Que Fait-On ?
Nous ne pouvons pas changer le cerveau humain. Nous ne changerons pas, seuls, les algorithmes des GAFAM.
Mais nous, communauté d’Handicapologie, pouvons changer nos propres actions. Ce n’est pas juste une question d’ego ou de « likes » ; c’est une question de survie pour notre plaidoyer.
Si les seules histoires de handicap qui deviennent virales sont des stéréotypes émotionnels, nous perdons la bataille culturelle.
Alors, voici notre mission :
- Identifier le « solennel » et le récompenser : Lorsque vous voyez un post factuel, un article de fond, une statistique importante… engagez-vous. Ne vous contentez pas de lire. Likez. Commentez (même un simple « Merci pour ce partage »). Partagez. C’est un acte militant.
- Résister à l’émotion facile : Avant de liker cette vidéo « inspirante », demandez-vous : « Est-ce que cela sert la personne concernée, ou est-ce que cela sert juste à me faire sentir bien ? »
- Jouer le jeu (un peu) : Nous devons aussi apprendre à enrober nos vérités solennelles d’une accroche plus humaine. Non pas en mentant, mais en trouvant l’émotion juste. L’émotion de l’injustice, la colère face à l’iniquité, est aussi une émotion puissante.
La vérité n’a pas à être ennuyeuse. Mais elle ne doit jamais être sacrifiée pour un « like » facile.
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